Contrastes d’un grand résistant

Contrastes d’un grand résistant

             Luc Rudolph

Date de publication : 6 janvier 2019

Honoré de la distinction de Compagnon de la Libération le 30 octobre 1943, Henri d’Astier de la Vigerie fut un Résistant précoce, et un des artisans majeurs de la neutralisation des représentants de l’État de Vichy lors du débarquement allié à Alger.

Co-créateur du réseau Orion 1 en 1940, il n’avait quitté la métropole que pour s’engager dans l’unification des rares groupes de Résistants existant en Afrique du Nord. Son œuvre a ainsi croisé l’entreprise du commissaire de police André Achiary, un résistant algérien de la première heure, qui essayait aussi de nouer les fils entre « gaullistes » des différents groupuscules locaux.

Avec José Aboulker2, les  trois hommes ont uni leurs forces pour faire réussir l’Opération Torch le 8 novembre 1942: d’Astier apportait son sens de l’organisation, Achiary la police algéroise, et Aboulker l’essentiel des effectifs engagés contre les vichystes. Alliés au colonel Germain Jousse, le planificateur de l’opération, ils ont réussi dans une affaire sur le succès de laquelle peu auraient misé. 

Dès le 11 novembre 1942, Henri d’Astier dévoile son idée d’un Corps Franc d’Afrique. Avec  quelques volontaires du Coup et une majorité de nouveaux-venus (José Aboulker et ses camarades avaient en majorité esquivé l’offre), le premier départ de 80 hommes a lieu le 24 novembre 1942 vers Tabarka3. 

En effet, quand Darlan arrive au pouvoir le 10 novembre 1942, Henri d’Astier accepte d’être, dans son gouvernement, le secrétaire-adjoint à l’Intérieur. À ce titre, il est amené à faire arrêter une partie des jeunes Juifs qui ont rendu le débarquement allié possible. Le 24 décembre 1942, c’est encore lui qui fait tuer l’Amiral de la Flotte dans le cadre d’un complot royaliste qui aurait pu faire de lui le Ministre de l’Intérieur du Comte de Paris. Il laisse exécuter, sans se dénoncer, le jeune Fernand Bonnier de la Chapelle, dont il a armé le bras, allant jusqu’à laisser accuser le commissaire Nicolas Garidacci de la mort de Bonnier. C’est avec sa caution que sont arrêtés des protagonistes majeurs du « Coup d’Alger », suspectés de l’assassinat de Darlan et ainsi déportés à Laghouat.  Henri d’Astier en est qualifié « d’aventurier » par René Capitant4 et Kenneth Pendar !

Démasqué le 31 décembre 1942 par la divulgation du rapport des officiers de gendarmerie Gaulard et Schilling puis par Achiary au début de 1943 pour sa commande à l’exécution de Darlan, Henri d’Astier est emprisonné, et placé en isolement pour 3 mois. Il est finalement libéré en septembre 1943. En novembre de cette année il devient membre de l’Assemblée consultative d’Alger et fait partie de la Commission de la Défense nationale. Il retrouve plus tard son statut de héros en menant au combat le Commando de France créé en avril 1944 par trois délégués à l’Assemblée consultative d’Alger (Henri d’Astier de la Vigerie, Louis Vallon et René Cerf-Ferrière) et débarqué en métropole en octobre 1944.

En 1946, il dépose un dossier de demande d’homologation de son réseau « Henri d’Astier » pour des activités courant du 1er octobre 1941 à juin 1943.

Dans un questionnaire aux réponses dactylographiées du 4 juin 19465 pour la Commission d’Homologation, il écrit « Il importe de faire remarquer qu‘en Algérie, une association dite « Association du 8 Novembre 1942 » groupe en une sorte d’amicale ceux qui ont plus ou moins favorisé le débarquement allié en Afrique du Nord. Cette association ne doit pas être confondue avec un réseau car les membres de cette association, élus un an après le débarquement du 8 novembre 1942, ne doivent en aucune façon être identifiés avec ceux qui ont été, avant le débarquement, les chefs effectifs d’un seul réseau de Résistance en Afrique du Nord, sous le commandement unique et incontesté d’Henri d’Astier de la Vigerie ». 

Dans le dossier est inclus un rapport aussi rédigé par lui sur les évènements autour du 8 novembre 1942. Y sont cités entre autres José Aboulker et André Achiary, décrits comme étant sous son commandement (ils agissaient en fait indépendamment de lui, bien qu’en coordination). Or ils ne sont pas mentionnés dans la liste de son réseau, car ils n’y ont pas adhéré. 

Son réseau sera homologué le 12 septembre 1946 comme réseau de renseignements FFC (Forces Françaises Combattantes).

Il mentionne dans le questionnaire« quelques centaines d’agents » dans son réseau. La liste contient en fait cinquante-six noms. Seules une dizaine de personnes sur cette liste ont eu une réelle activité avant et pendant le débarquement, en interaction avec d’Astier, mais pas sous son commandement. Deux autres listes incluses dans le dossier relèvent d’autres réseaux : le réseau Arthur Richard (à Arras) et la mission Bazaugour dont Henri d’Astier ne fut que le liquidateur.

Le 26 mars 1953, Jean Scelles, ancien conseiller de l’Union Française, demande par  une lettre adressée à l’attention du colonel Canonne,  assistant du président Pleven, ministre de la Défense Nationale, une enquête sur le réseau Henri d’Astier(celui-ci était décédé le 10 octobre 1952).  » …Une enquête sérieuse serait à entreprendre sur le « Réseau d’Astier » afin de déterminer avec précision ceux qui y ont appartenu en propre, comme il sera utile de préciser son rôle exact ». 

Le 2 octobre 1953 un rapport d’enquête de la Direction du Personnel Militaire de l’Armée de Terre signé par le chef de Cabinet, Lallemand, écrit, ignorant visiblement le décès de d’Astier : « Toutefois, le Président convoquera auparavant M. d’Astier pour lui demander de développer ses suggestions » ; et  rapelle ensuite les résultats de P.V. de la sous-commission qui s’était réunie le 12 septembre 1946. Une commission du 11 janvier 1947 avait confirmé  ses décisions, rendues officielles par arrêté du 9 juin 1947 (J.O. du 19 juin 1947). Le 21 mai 1953 le même Lallemand avait écrit que la Commission nationale d’homologation F.F.C. « ….estime n’avoir à plus revenir sur le travail qui a été fait. L’attention est appelée sur la rivalité qui existe entre les différentes organisations de résistance en A.F.N. et sur le fait que les débats des Commissions d’homologation ont un caractère confidentiel (circulaire ministérielle du 4 mars 1951). La communication à M. Jean Scelles … est laissée à l’appréciation du Cabinet de la Défense Nationale ».

Le  9 janvier 1958, dans une réponse du ministère de la Défense Nationale à des lettres du 27 décembre 1955 de M. Georges Berdolet (un membre du réseau) demeurant à Oran, demandant l’intégrations des noms de certains résistants dans le réseau d’Astier, il s’est vu donner  une fin de non-recevoir, par référence à un arrêté du 4 octobre 1955. On lui a suggéré de les faire reconnaitre en tant que « Résistants Isolés ». Certains noms sont aisément reconnus comme ayant participé activement à Oran avant et pendant le débarquement à des activités de Résistance.Par ses manipulations de la vraie situation de la Résistance en Afrique du Nord, et sa volonté d’apparaître, contre toute évidence, comme le seul chef de celle-ci, d’Astier a procédé à une réécriture de l’Histoire qui illustre les contrastes d’un héros…

1. SHD dossier 17 P 182
2. SHD dossier 16 P 1874
3. ESQUER Gabriel, 8 Novembre 1942, jour premier de la libération, éd. Charlot, 1946, p. 350
4. AN dossier 645 AP/6
5. AN dossier 645 AP/6